Cinquante ans après l’adoption de la loi Veil, avorter n’est plus un débat en France, c’est un droit fondamental, reconnu par la Constitution. Ces cinquante années de mouvements victorieux pour l’émancipation paraissent courts à l’échelle de l’Histoire de la répression patriarcale qui s’est exercée continûment contre les femmes qui ont eu recours à l’avortement. Nous ne pouvons oublier celles qui ont souffert, celles qui sont mortes des suites d’avortement clandestin et plus encore, celles qui ont été condamnées par des lois iniques. Nous, militantes, chercheuses, élu.es, avons demandé la réhabilitation des femmes injustement condamnées pour avortement et l’avons obtenu !
Le jeudi 20 mars, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l’avortement avant la loi du 17 janvier 1975 relative à l’IVG. En reconnaissant la souffrance des femmes condamnées pour avortement avant 1975, la France a fait un pas de plus vers la justice, à l’heure où, aux États-Unis, des femmes sont de nouveau poursuivies et jetées derrière des barreaux pour avoir voulu disposer de leur corps.
C’est une immense fierté pour la Fondation des Femmes d’avoir initié ce combat aux côtés d’historiennes expertes des luttes pour les droits des femmes. Cette victoire, c’est un message fort : l’histoire de ces femmes ne sera plus passée sous silence. Leur combat est notre héritage. Et nous continuerons, toujours, à défendre le droit à l’avortement.
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Jusqu’en 1975 et la loi Veil, les femmes ayant recours à l’avortement sont poursuivies, jugées, condamnées ou socialement ostracisées pour avoir pratiqué des avortements en application de l’article 317 du Code pénal de 1810. Déjà réprimé sous l’ancien régime, d’après les sources judiciaires de l’époque contemporaine, on trouve par exemple 1 020 condamnations entre 1826 et 1880, 715 entre 1881 et 1909. Après la Première Guerre mondiale, dans une France hantée par l’idée de dépopulation, toute femme « qui se serait procurée l’avortement à elle-même » risque de 6 mois à 2 ans de prison, et de 100 à 2 000 Francs d’amende.
Mais c’est surtout pendant le régime de Vichy que la répression s’intensifie : l’avortement redevient un crime passible de peine de mort et les condamnations de femmes avortées sont multipliées par 7 dans la période charnière de 1940-1943. En 1946, 5 151 affaires d’avortements clandestins sont encore jugées par les tribunaux, plus encore que sous Vichy. La condamnation des avortements perdure largement après la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’amnistie de 1974.
Réhabiliter ces femmes avortées, c’est reconnaître qu’elles ont été condamnées injustement. Il s’agit de restaurer leur dignité mais aussi de leur redonner une digne place dans l’Histoire des femmes et de leurs droits.
A l’heure toutefois où 40% des femmes dans le monde vivent dans un pays qui restreint ou interdit leur droit à l’IVG, à l’heure où elles sont 47 000 à mourir parce qu’on leur refuse un avortement sûr, à l’heure enfin où ce droit recule drastiquement aux Etats-Unis, la réhabilitation est un geste politique fort, dans la continuité de la constitutionnalisation de mars 2024.
Réhabiliter et obtenir réparation pour les femmes condamnées, c’est aussi déconstruire les stigmates qui entourent encore trop souvent l’avortement et écrire un autre récit de l’avortement. Il ne s’agit pas seulement d’un acte médical, mais d’un choix éminemment politique, social et personnel dont aucune femme n’aurait dû se sentir coupable.
Avorter, c’est tout simplement décider pour soi. Parfois un choix, parfois la seule solution. Face aux opposants toujours plus nombreux de la liberté des femmes, la France doit continuer d’affirmer haut et fort que l’avortement est un droit fondamental et inaliénable, une condition essentielle à l’égalité entre les sexes.
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes
Annie Ernaux, écrivaine
Michelle Perrot, historienne
Christelle Taraud, historienne
Claudine Monteil, historienne
Xavière Gauthier, écrivaine
Bibia Pavard, historienne
Michelle Zancarini-Fournel, historienne
Florence Rochefort, historienne
Julie Gayet, actrice
Maria Cornaz Bassoli, avocate
Suzy Rojtman, co-fondatrice du Collectif féministe contre le Viol
Sarah Durocher, présidente du Planning familial
Chantal Birman, sage-femme
Anna Mouglalis, actrice
Laurence Rossignol, sénatrice
Hussein Bourgi, sénateur
Laure Calamy, actrice
Françoise Picq, historienne
Maria Cornaz Bassoli, présidente de Choisir la cause des femmes
Clémentine Galey, podcasteuse
Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit