16/01/2022

Vos droits : Tenues conformes, élèves corrigées

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La question de la tenue scolaire – en particulier celle des filles, cibles de toutes les attentions – va-t-elle à nouveau faire polémique à la rentrée ? Que peut légalement interdire ou ordonner un établissement scolaire en la matière ? Comme souvent, le problème ne se trouve pas tant dans la lettre mais dans l’esprit des lois.
Photos Fondation des femmes
Mûre Maestrati, juriste et membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. DR

Est-on libre de son apparence vestimentaire à l’école, au collège ou au lycée ? Juridiquement, la réponse est claire : non. “Aucune règle ne reconnaît aux élèves un droit absolu à s’habiller à leur guise, souligne l’académie de Créteil, qui précise : Aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit à un établissement de réglementer la tenue des élèves en vue de préserver l’ordre, et notamment pour des raisons de sécurité, d’hygiène et de civilité1.” Ensuite, tout dépend des raisons invoquées pour imposer ou, au contraire prohiber, le port de tel ou tel vêtement dans un établissement scolaire. Ce sont ces justifications qui peuvent, elles, être légales ou non, par exemple si elles supposent une inégalité entre filles et garçons.

La fameuse “tenue républicaine”

Commençons par la fameuse “tenue républicaine”, expression assez malheureuse utilisée l’an dernier par le ministre de l’Éducation en pleine polémique top crop, ce tee-shirt court à la mode chez les filles, qui a valu à certaines de se faire exclure de cours. Prise au pied de la lettre, une tenue « républicaine » doit respecter les lois de notre République, deux en particulier : l’interdiction de dissimuler son visage et l’exhibition sexuelle. Point. “Le problème est que le ministre ne parlait pas ici de droit mais de ce qui serait socialement ou moralement acceptable. Or il est impossible, et surtout dangereux, de fixer les critères ‘objectifs’ de ce qui serait conforme à la morale. D’une part, parce que celle-ci relève du vécu et des convictions de chacun·e. D’autre part, car il s’agirait d’un premier pas vers la discrimination, notamment sexiste”, observe Mûre Maestrati, juriste et membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes.

En droit et dans les faits, les établissements scolaires ont une très large latitude dans les prescriptions vestimentaires en vigueur dans leurs locaux, qui sont précisées dans leurs règlements intérieurs, tant que ceux-ci se conforment à des principes tout aussi fondamentaux et… républicains, de liberté individuelle, de tolérance, de respect des autres et de laïcité2. L’académie de Créteil rappelle à juste titre que “l’école publique ne peut pas se présenter comme le sanctuaire d’un modèle social unique. Ouverte à tou·te·s et à tous les changements, l’école reconnaît la liberté d’expression des élèves, dans le respect du pluralisme et de la diversité.” Ainsi l’exercice de cette liberté ne peut-il être limité que par les “conditions de bon fonctionnement du service public de l’éducation”.

De multiples interprétations

Généralement, les règlements intérieurs se contentent de demander le respect d’une “tenue correcte” dans l’établissement. Formule qui fleure bon l’entrée de boîte de nuit et qui, de la même manière, ouvre le champ de multiples interprétations… Le mémo de l’académie de Créteil met ainsi en garde contre cette notion en raison du “jugement normatif” qu’elle porte, d’où l’importance d’en discuter au sein des établissements pour “rechercher les points de convergence”. Une “tenue correcte” n’a en effet souvent pas le même sens selon les élèves, les parent·e·s, les enseignant·e·s…

Certaines obligations ne font plus, ou pas, débat comme la blouse en cours de chimie, le vêtement de sport en EPS, ou d’enlever son couvre-chef en classe. Mais d’autres peuvent être variables. Doctorante en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales, Camille Lavoipierre porte ainsi un regard très critique sur les restrictions vestimentaires qu’elle a observées dans un lycée de la région parisienne. « Derrière la règle floue de la tenue correcte ou normale se cachent toutes sortes de discriminations, à partir de critères de genre, d’âge, de sexualité, de classe, de “race”, de religion… », explique-t-elle3. Mûre Maestrati est plus nuancée : “L’idée de ‘tenue correcte’ est protéiforme, elle peut être différente selon le public reçu dans l’établissement ou la région où il se situe. Par exemple il peut être considéré comme correct de porter des sandales en classe dans un lycée à Marseille mais pas à Paris. Cette notion a le défaut mais aussi la qualité d’être large, adaptable et souple”, remarque la juriste.

Changer de regard sur le corps des filles

Au-delà de ces points de droit, il est significatif que les crispations sur les tenues vestimentaires à l’école concernent avant tout les filles. “Le débat serait-il le même si le physique des adolescentes et des préadolescentes n’était pas ainsi érotisé ? Ce qui pose problème dans le crop top n’est pas le vêtement en lui-même mais l’hypersexualisation du corps des jeunes filles, qui se fait à leurs dépends, sans leur consentement et qui nuit à leur liberté. Leur revendication dans les mouvements comme le #14 septembre4 est avant tout de pouvoir s’habiller comme elle le veulent sans être regardées comme des objets sexuels.“ Interdire le port de certains vêtements à une élève dans l’enceinte scolaire sous prétexte qu’il ne faudrait pas « déconcentrer » les garçons ou laisser supposer que des filles “convenables” n’ont pas ce type de look “est non seulement horriblement sexiste, donc illégal, mais c’est aussi une manière de légitimer le harcèlement et les agressions, affirme Mûre Maestrati. Alors qu’apprendre aux garçons et aux hommes à changer leur regard éviterait à la fois ces violences et l’hypersexualisation du corps des filles.” Et dépassionnerait au passage les débats de rentrée…

Par Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #45