24/05/2021

Vos droits : Quand ce n’est pas oui, c’est non

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Le Code pénal français ne définit pas la notion de consentement en matière sexuelle. Ce qui rend la loi pénale peu compréhensible et conduit en pratique, trop souvent, les juridictions à rechercher la faute de la victime. Il est indispensable et simple de clarifier les règles du jeu. Pour le bien de toutes et tous.
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Avec Zoë Royaux et Sophie Soubiran, avocates pénalistes au barreau de Paris et membres de la Force juridique de la Fondation des Femmes. DR

“Qui ne dit mot consent”. Cet adage populaire reflète aussi l’esprit du droit dans les affaires de viols ou d’agressions sexuelles1. Le consentement à l’acte sexuel est présupposé, et ne peut être remis en cause qu’en cas de “violence, contrainte, menace ou surprise”, précise le Code pénal. En dehors de ces circonstances particulières, il n’y a donc pas, au regard de la loi, viol ou agression sexuelle. Même lorsque la victime a onze ans… En novembre 2017, un scandale avait éclaté suite à l’acquittement d’un homme accusé d’un viol sur une fillette de cet âge. Les juré·e·s d’assises avaient estimé que les éléments constitutifs du viol n’étaient pas réunis2. Cette affaire, suivie d’une autre, similaire, quelque mois plus tard, avait conduit à l’ouverture d’un débat national sur la nécessité de fixer un âge au-dessous duquel une relation sexuelle ne peut être consentie. Cependant, la discussion parlementaire n’a pas abouti à poser cette limite, ni à interroger la question du consentement, qu’il s’agisse de victimes mineur·e·s ou adultes.

Juger le contexte et la “morale”

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“La loi dit qu’une personne qui a des relations sexuelles est, par principe, d’accord. Il faut donc démontrer la culpabilité, mais les quatre critères de définition du non-consentement restent larges, flous, souvent très difficiles à caractériser. Magistrat·e·s et juré·e·s se retrouvent à juger sur des éléments de contexte ou de comportement de la victime, sans que la règle d’appréciation ne soit claire, alors que la loi pénale doit être d’application stricte”, expliquent Zoë Royaux et Sophie Soubiran, avocates pénalistes au barreau de Paris et membres de la Force juridique de la Fondation des Femmes. Les procédures pour viols ou agressions sexuelles conduisent ainsi souvent à mettre en cause l’attitude de la victime. “On attend d’elle qu’elle soit ‘parfaite’ : elle est interrogée sur les vêtements qu’elle portait, ce qu’elle avait bu, ses relations avec son ou ses agresseur(s), sa sexualité, etc. On juge sur de la ‘morale’ et on suggère qu’il est de la responsabilité des victimes de prendre leurs précautions pour ne pas se mettre en danger”, observent les avocates.

Quant au contexte, la jurisprudence donnée par une très rare décision de la Cour de cassation en matière de viol, rendue en 2001, conduit à avoir une interprétation pour le moins restrictive de la notion de « violence ». Dans cette affaire, une femme avait été forcée à monter dans une voiture, brutalisée, avant de subir plusieurs rapports sexuels dans l’appartement de son agresseur. Les magistrat·e·s ont bien reconnu que l’accusé “ne pouvait pas se rendre compte que sa partenaire n’était pas tout à fait consentante” (sic). Sauf que “la violence, menace, contrainte ou surprise doit être concomitante” du rapport sexuel souligne l’arrêt. Étant donné que la victime n’a pas été frappée au moment d’être violée, il n’y avait donc pas, juridiquement parlant, viol…

Des évolutions nécessaires

Paradoxalement, le consentement est sacré en matière de droit civil : il est illégal de vendre un emprunt ou une voiture à une personne dont on ne s’est pas assuré qu’elle avait un jugement suffisamment éclairé pour le faire et qu’elle était en capacité de consentir, sans compter qu’un délai de réflexion est obligatoire… Des précautions qui ne s’appliquent pas et, de loin, pour les crimes ou délits sexuels : “Nous nous retrouvons souvent dans la ‘zone grise’ du consentement, quand la victime n’est pas en capacité d’exprimer sa volonté”, remarquent les avocates. Par exemple lorsqu’elle est en état de sidération (un mécanisme de défense et de survie où elle s’extrait mentalement d’elle-même pour se protéger), qu’elle est à moitié inconsciente après s’être saoulée ou droguée, ou qu’elle subit un environnement coercitif, comme dans un bizutage où un·e étudiant·e se soumet à des violences sexuelles par peur de se faire mal voir. Autant de circonstances qu’il serait possible d’introduire dans la loi sans pour autant attenter au principe de la présomption d’innocence ni avoir besoin de prévoir une notion de “consentement explicite” comme au Canada ou en Suède.

Zoë Royaux et Sophie Soubiran concluent : “Aujourd’hui, le droit laisse entendre : ‘dans le doute, si elle ne bouge pas, si elle ne dit pas non, je peux y aller’. Il faut rendre les textes de loi plus précis pour permettre de supprimer cette ‘zone grise’ : affirmer, au contraire, que dans le doute, quand il n’y a ni oui ni non, on doit s’abstenir. La loi, qui n’est plus adaptée aujourd’hui, doit devenir précurseuse du changement en montrant ce qui n’est tout simplement pas tolérable dans nos sociétés. Elle doit faire œuvre de pédagogie.”

  1. La différence entre un viol et une agression sexuelle tient à l’existence d’une pénétration dans le premier cas. Le viol est un crime, jugé par une cour d’assises, l’agression sexuelle est un délit, qui relève du tribunal correctionnel.
  2. L’agresseur a finalement été condamné en appel en novembre 2018 à sept ans de prison.
Article par Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #29, janvier-février 2019
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Femmes ici et ailleurs