26/11/2019

Vos droits : Plainte ou main courante

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Si la démarche paraît similaire – rapporter des faits à un·e policier·ère ou gendarme – la confusion est fréquente dans l’esprit d’une victime entre le dépôt d’une plainte et celui d’une main courante. En matière de violences conjugales, il n’y pas de doute à avoir.
Photos Fondation des femmes (5)
Hélena Christidis avocate au barreau de Paris, membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. © Daisy Reillet

Voulez-vous déposer une plainte ou une main courante ?” Pas simple pour une victime, choquée par ce qu’elle vient de vivre ou ne serait-ce qu’intimidée de se retrouver entre les quatre murs d’un commissariat, de décider. Les effets de l’une ou de l’autre de ces démarches sont pourtant très différents. Porter plainte déclenche automatiquement la saisine d’un·e procureur·e de la République et donc la demande d’ouverture de poursuites contre l’auteur·e des faits. Dit autrement, la plainte lance la “machine” judiciaire. Il reviendra ensuite au parquet d’engager ou non une enquête, puis de saisir ou non un tribunal qui tranchera. 

Une main courante, en revanche, permet avant tout de signaler et de dater une situation, c’est-à-dire de prendre acte. C’est une démarche utile par exemple dans les cas de séparation : déposer une main courante pour signaler son départ du foyer parce que la situation devient intenable peut servir à se prémunir d’accusations ultérieures d’abandon de domicile conjugal, les conjoint·e·s s’étant, par le mariage, engagé·e·s à une communauté de vie.

Il n’y a généralement pas de suites judiciaires au dépôt d’une main courante. À cette exception : si les faits sont susceptibles de relever d’un délit (par exemple, des attouchements) ou d’un crime (un viol), les services de police ou de gendarmerie sont, en principe, tenus de transmettre le signalement à la/au procureur·e de la République, qui décidera de la suite à leur donner. Cette obligation relève du fameux article 40 du code de procédure pénale. 

Ne pas hésiter à porter plainte

Dans les affaires de violences conjugales, qu’elles soient corporelles ou psychologiques, il faut déposer plainte. “Même s’il s’agit ‘seulement’ d’une première agression. Et c’est primordial si les faits se renouvellent. Sinon, les victimes peuvent multiplier les mains courantes, en vain. Elles se sentent parfois coupables et ont peur de poursuivre l’auteur·e, alors que ce qu’elles subissent sont des actes graves, qui relèvent d’un délit”, souligne Hélena Christidis, avocate au barreau de Paris et membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. Normalement, face à une accumulation de mains courantes, les policier·ère·s et gendarmes sont censé·e·s inciter les victimes à porter plainte. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Dans ces affaires, la main courante est envisageable pour les actes moins graves, comme des insultes. Elle peut être conseillée lorsque les victimes sont trop fragiles pour assumer une plainte : la main courante permet au moins de signaler les faits. Autre cas : dans les situations où la parole de l’un·e se retrouve, seule, contre la parole de l’autre, avec un risque de classement sans suite et de plainte en retour pour dénonciation calomnieuse.

Six ans de réflexion

Dans les autres situations, mieux vaut choisir la plainte. Une précision d’importance : la victime n’est pas obligée d’apporter la preuve de ce qu’elle affirme. C’est le travail des services d’enquête. Mais tous les éléments qu’elle pourra fournir pour appuyer ses propos sont précieux. “Les personnes violentes ne le montrent généralement jamais en société. D’où la difficulté d’établir les faits”, constate l’avocate, qui conseille d’enregistrer (ou de filmer) les scènes de brutalité, verbale ou physique, ce qui est possible avec n’importe quel smartphone. L’avocate a ainsi obtenu, sur la base d’un enregistrement, l’ouverture de poursuites et la condamnation d’un conjoint violent.
Hélena Christidis conclut : “Il ne faut pas craindre de déposer plainte ni se laisser décourager par la longueur des procédures : c’est souvent la seule manière de faire cesser ces violences et, pour les victimes, de mettre un point final à ce qu’elles endurent.” Enfin, il est tout à fait possible d’avoir effectué une main courante puis, après réflexion ou à la suite de nouveaux faits, de déposer plus tard une plainte. Jointe à celle-ci, la main courante permet ainsi d’affirmer l’antériorité des violences. ●
Article par Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #34, novembre-décembre 2019
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Femmes ici et ailleurs