26/01/2021

Vos droits : Protéger et reconstruire

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La lutte contre les violences conjugales dispose d’un outil juridique rapide et efficace pour mettre les femmes et les enfants à l’abri : l’ordonnance de protection. Longtemps peu utilisé, renforcé l’an dernier, ce dispositif se déploie peu à peu. Enfin.
Photos Fondation des femmes (11)
Anaïs Defosse, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis, membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. DR

C’est l’une des avancées à porter au crédit du Grenelle contre les violences conjugales, tenu fin 2019 : le renforcement de l’ordonnance de protection, un dispositif qui recouvre une série de mesures d’urgence permettant aux victimes et à leurs enfants d’être mis·es hors de danger. Il était temps. L’Espagne a adopté ce système dès 2003. Notre pays a attendu 2010 et dix années de plus pour la version actuelle. Mais c’est dans son application concrète que le gouffre est le plus impressionnant. Selon un rapport publié en novembre par le centre Hubertine Auclert, en 2018, l’Espagne avait enregistré 40 720 demandes d’ordonnance de protection et en avait accordé 28 682. La France, respectivement… 3 299 et 1 670. Soit, sur ce dernier point, dix-sept fois moins, alors que la population de notre pays est de 30 % supérieure à celle de notre voisine ibérique1. Ce faible niveau d’accès à ce dispositif est à mettre en regard d’une autre réalité, effrayante : en 2019, il y a eu proportionnellement deux fois plus de femmes tuées en France par leur conjoint ou ex-conjoint (146) qu’en Espagne (55)…

Le droit de rester dans son logement

Les améliorations apportées ces deux dernières années au fonctionnement de l’ordonnance de protection étaient donc indispensables. Quelles sont-elles ?
Tout d’abord une action plus rapide de la justice. Le délai maximum entre la saisine d’un·e juge aux affaires familiales et la décision est désormais fixé à six jours. Auparavant, la moyenne était de plus de quarante-deux ! Puis l’inscription noir sur blanc dans le code civil disant que la délivrance d’une ordonnance de protection “n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable”. “Auparavant, les juges la demandaient, alors que cette démarche n’était pas obligatoire”, déplore Anaïs Defosse, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis et membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. Une victime peut en effet avoir un besoin urgent et vital d’être protégée, sans pour autant vouloir – en tous cas à ce moment-là – engager une procédure judiciaire contre son compagnon et/ou père de ses enfants.
Autre grande avancée, l’attribution du bénéfice du domicile commun par principe à la victime. Dans le cas contraire, il faut que la décision soit “spécialement motivée, justifiée par des circonstances particulières”. Autrement dit, l’exception qui confirme la règle. “C’est la mesure la plus importante d’une ordonnance de protection. Pouvoir, si elle le souhaite, rester dans le logement devient un droit pour la victime, qui n’a pas à se retrouver à la fois brutalisée et à la rue”, souligne l’avocate.

Mille bracelets anti-rapprochement

Enfin, les interdictions faites au conjoint ou ex-conjoint violent de se rendre à proximité du domicile, du lieu de travail de la victime ou de l’école des enfants vont pouvoir s’appuyer sur le déploiement des bracelets anti-rapprochement : mille sont disponibles désormais sur tout le territoire français depuis décembre.
Reste que quelques rouages grincent encore dans une mécanique qui demande à être parfaitement huilée pour que la procédure tienne dans les six jours du délai imparti. “De nombreuses audiences sont renvoyées parce que les auteurs présumés des violences n’ont pas le temps de préparer leur défense. Cet argument est à l’origine de la moitié des appels formés contre les ordonnances de protection dans le ressort de la cour d’appel de Paris”, remarque Anaïs Defosse. Quelques juridictions (Bobigny, Pontoise, Évry, Coutances…), ont pris l’initiative de créer des protocoles rapides et efficaces en associant tous les (ou une partie des) acteurs et actrices de la chaîne : associations, barreaux, unités médico-légales, huissier·ère·s, forces de l’ordre, services sociaux, etc. Ce système qui a déjà montré son intérêt (il y a davantage de recours aux ordonnances de protection dans ces juridictions) n’existe cependant pas partout.

Des mesures parfois contradictoires

Autre point faible : si ce dispositif permet à un·e juge du civil de prendre des mesures qu’un·e magistrat·e du pénal ne peut pas ordonner (comme l’attribution d’un logement ou de l’autorité parentale), il arrive qu’elles soient contradictoires entre elles. L’avocate cite le cas d’un conjoint mis en examen pour tentative de meurtre, dont le contrôle judiciaire imposé par un·e juge d’instruction lui interdit de se rendre précisément là où son ordonnance de protection, décidée par un·e juge aux affaires familiales, l’oblige à voir ses enfants…
L’exemple espagnol souligne par ailleurs les lacunes encore existantes dans la procédure française. Il y existe des tribunaux ad hoc, avec des magistrat·e·s formé·e·s aux violences conjugales, pouvant intervenir sur l’ensemble du dossier : ces tribunaux sont en effet compétents à la fois en matière de droit civil et de droit pénal. Le système prévoit aussi la possibilité d’aménager le temps ou le lieu de travail de la victime (qui n’a pas besoin de démissionner pour se protéger), davantage de places d’hébergement spécialisées et la possibilité d’expulser par la force le conjoint violent du domicile.
Le pas franchi en France l’an dernier, même imparfait, semble déjà donner des résultats positifs. Selon des premières remontées d’information, les demandes d’ordonnances de protection auraient bondi de 57 % en 2020, alors qu’une décrue est observée dans le nombre de victimes de violences conjugales, avec soixante-sept femmes tuées (mais quand même soixante-sept de trop) par leur compagnon ou ex-compagnon fin novembre, soit moitié moins qu’au cours de l’année précédente. ●

Article par Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #41, janvier-février 2021
En partenariat avec :
Femmes ici et ailleurs