26/01/2020

Vos droits : Garde alternée, pour le meilleur ou le pire

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Moitié chez maman, moitié chez papa : équitable en apparence, la résidence alternée se transforme parfois en piège pour les mères qui n’ont aucun recours si le père n’assume pas sa part et se désintéresse de sa famille. À l’inverse, elles peuvent être lourdement condamnées pour non-représentation d’enfant.
Photos Fondation des femmes (6)
Sophie Soubiran, avocate pénaliste et en droit de la famille au barreau de Paris, membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. DR

La résidence alternée – généralement une semaine chez un parent, une semaine chez l’autre – devient un mode de garde de plus en plus répandu pour les enfants de couples séparés, même s’il reste encore marginal, représentant moins d’un cinquième des cas. Cette possibilité a été prévue par la loi du 4 mars 2002 qui a également reconnu que les parents étaient égaux en droits et en devoirs vis-à-vis de leurs enfants. Désormais, les pères réclament et obtiennent plus souvent la garde alternée. 

L’intérêt de ce système pour l’enfant reste un sujet de débat entre psychologues et pédopsychiatres. Pour résumer, les un·e·s estiment que l’alternance a le mérite d’assurer à l’enfant d’être élevé·e par ses deux parents tandis que les autres pensent qu’il est déstabilisant, en particulier pour les plus petit·e·s, de changer de foyer et de repères toutes les semaines. 

Du temps pour soi

Pour le couple séparé, lorsque tout se passe bien, ce mode de garde permet de sortir de la répartition classique des rôles où la résidence principale est chez la mère : à papa les vacances et l’amusement, à maman les corvées, les rendez-vous avec les enseignant·e·s ou les séances chez l’orthodontiste… “Il est difficile pour une mère, socialement parlant, de ne pas demander la résidence principale. Pourtant, même si bien sûr une séparation n’est jamais une situation idéale, l’alternance peut être un moyen d’émancipation. Elle donne aux mères du temps pour elles et leur offre l’occasion de (re)construire une vie professionnelle, sociale, militante, amoureuse…”, observe Sophie Soubiran, avocate au barreau de Paris et membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes.


Par contre, la résidence alternée est assurément la plus mauvaise formule en cas de conflit entre les ex-conjoint·e·s. Ce mode de garde suppose en effet une proximité géographique des parents et des échanges fréquents sur tous les sujets concernant l’enfant : vêtements, école, santé, loisirs, etc. Soit autant de sources potentielles de dissensions et de querelles. Paradoxalement, la loi et le code civil prévoient que les magistrat·e·s peuvent décider – provisoirement puis définitivement – la résidence alternée y compris en cas d’opposition d’un des parents. Certains juges la considèrent même comme une sorte de “solution” face à un désaccord parental…

Quand la garde alternée est une supercherie

Et c’est pire encore en cas de violence ou d’emprise de l’un – généralement monsieur – sur l’autre – dans la grande majorité, madame. La garde alternée peut être utilisée par le père pour ne pas avoir à verser de pension alimentaire, qui pourtant devrait être ordonnée quand les différences de revenus sont importantes. Et rien ne lui impose de respecter l’alternance. Le délit d’abandon de famille ne s’applique qu’aux parents qui ne s’acquittent pas de leur pension alimentaire, pas à celles ou ceux qui ne s’occupent tout simplement plus de leurs enfants… Curieusement, le père a un rendez-vous impératif le soir où il doit recevoir ses enfants, un déplacement professionnel pendant sa semaine de garde et, pas de chance, le week-end, il n’est en fait plus disponible… Résultat, quand la garde alternée se révèle être une supercherie, la mère se retrouve encore plus fragilisée.
Sans aide financière, mais obligée de tout assumer ; avec des enfants – surnommé·e·s par les psys “les enfants de la fenêtre” – qui attendent leur père en vain, pendant qu’elles se trouvent dans l’impossibilité de prévoir quelque activité que ce soit pour elles-mêmes.
Farce sinistre de l’histoire : aucune sanction n’existe pour les pères qui n’exercent pas leur droit de visite. L’amende civile prévue pour punir ce comportement n’est en pratique presque jamais demandée ni prononcée.

Centaines de condamnations

À l’inverse, la mère – le plus souvent – peut être poursuivie si elle décide de ne plus tenir compte des tours de garde et que le père trouve porte close ou un refus lorsque, subitement, il entend récupérer sa progéniture. Ou bien qu’il s’agit d’adolescent·e·s qui ne veulent plus voir leur père. Chaque année, des centaines de mères se retrouvent ainsi condamnées à des amendes et souvent à des peines de prison avec sursis pour “non-représentation d’enfant”, qui est un délit pénal. Au passage, elles peuvent être accusées d’être responsables d’un “syndrome d’aliénation parentale” selon lequel si un·e enfant ignore ou rejette son père, c’est parce leur mère l’a manipulé·e.
“Il y a un vrai problème d’asymétrie dans les sanctions, regrette Sophie Soubiran. La menace de poursuites pour non-représentation d’enfant peut ainsi servir d’arme pour maintenir les situations d’emprise et de violence. Les audiences tournent souvent au procès de la bonne ou mauvaise mère, avec des inégalités flagrantes”, constate-t-elle. Quelques avocat·e·s mènent un combat juridique en déposant des questions prioritaires de constitutionnalité pour tenter d’infléchir les lois en vigueur. En attendant un hypothétique changement législatif, la seule manière de se protéger face à ces “fausses gardes alternées” est de retourner devant les juges pour réviser les mesures de la décision initiale et demander, par exemple, une pension alimentaire et la résidence principale. ●

Article par Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #35, janvier-février 2020
En partenariat avec :
Femmes ici et ailleurs