26/03/2020

Vos droits : Pas seule face au harcèlement

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Insidieux et dévastateur pour la vie des victimes, le harcèlement au travail, qu’il soit moral ou sexuel, doit être sanctionné par l’entreprise qui a une obligation générale de protection de la santé et de la sécurité de ses salarié·e·s. Plusieurs recours existent face à ces agissements.
Photos Fondation des femmes (7)
Julie Jean-Setton. Avocate au barreau de Paris, membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. © Laurent Rouvrais

Si les agissements sexistes, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel au travail, relèvent de dispositions légales et de comportements distincts, dans les faits, ils sont souvent liés. Il arrive par exemple qu’une victime de harcèlement sexuel préfère parler de harcèlement moral : “Elle a honte, culpabilise, croit à tort avoir provoqué la situation qu’elle subit, ou l’avoir encouragée par une phrase ou un comportement, alors que ce n’est pas de sa faute. Nous sommes en présence d’une inversion typique des rôles, induite par l’auteur, généralement une personnalité manipulatrice. Les victimes sont parfois dans le déni, surtout quand elles sont en début de carrière, ont un fort engagement dans leur travail, veulent s’intégrer professionnellement”, remarque Julie Jean-Setton, avocate au barreau de Paris, membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes.

Les logiques de domination sont les mêmes entre harcèlement moral et sexuel. Et bien sûr, ce dernier n’a strictement rien de commun avec des jeux de séduction. “La différence est simple, rappelle l’avocate, c’est le consentement, le respect, la réciprocité.” S’il est par exemple difficile de décrire objectivement le poids d’un regard insistant, en revanche le sentiment qu’il suscite est sans équivoque ; vous ressentez une impression de malaise, de dégradation ou d’humiliation ? C’est le signal qu’il ne s’agit probablement pas là de séduction.

Un délit pénal lourdement sanctionné

Par ailleurs, agissements sexistes et harcèlement peuvent s’inscrire dans une continuité. “Les frontières sont minces entre ces différentes notions : un climat d’entreprise encourageant les remarques et blagues sexistes (agissements sexistes) peut faciliter l’émergence de propos non désirés à connotation sexuelle (harcèlement sexuel) pouvant alterner avec des attouchements de nature sexuelle (agressions sexuelles). De même, à la manifestation d’un refus par une salariée de satisfaire aux demandes sexuelles d’un collègue ou d’un supérieur hiérarchique, peuvent succéder des propos calomnieux, critiques injustifiées, humiliations de la part de ce dernier (harcèlement moral)”, relève le très bon guide, pratique et juridique, édité par le ministère du Travail1.
Le harcèlement, quel qu’il soit, a un impact fort sur la santé physique et mentale de celles et ceux qui le subissent. L’entreprise, au titre de ses obligations générales en matière de santé et de sécurité, est tenue de protéger ses salarié·e·s du harcèlement moral et sexuel, et désormais également des agissements sexistes, une précision apportée par la loi du 3 août 20182. Pour rappel, qu’il soit moral ou sexuel, le harcèlement est un délit pénal, puni d’une lourde amende et d’une peine de prison.

Plusieurs portes où frapper

Que faire si vous vous trouvez dans cette situation ? Au sein de l’entreprise, rapportez les faits à votre hiérarchie, à la direction des ressources humaines ou, dans les plus grandes structures, au comité social et économique (CSE) qui a dû désigner en son sein un·e référent·e en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Le CSE a une obligation d’ouvrir une enquête sur ces faits et de prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre fin. Idem pour l’employeur. S’il ne se passe rien, un conseil des prud’hommes, saisi en référé (procédure d’urgence), peut obliger, sous astreinte, l’entreprise à agir.
D’autres ressources sont mobilisables en dehors de l’entreprise, en premier lieu la médecine et l’inspection du travail. Prenez contact avec le 3919, numéro d’écoute et d’orientation, qui vous invitera le cas échéant à solliciter l’AVFT, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. Moins connus : les services du Défenseur des droits. “Les victimes y pensent rarement, mais il peut être intéressant de les saisir. Ils n’ont pas un pouvoir de coercition mais d’enquête, de recommandation et de médiation”, observe Julie Jean-Setton. Il est possible de solliciter l’ensemble ou une partie de ces personnes et services, internes ou externes à l’entreprise, sans obligation de le faire dans un ordre particulier.

Et quand rien ne va plus ?

Collectez tout ce qui peut servir d’éléments de preuve, ils permettront d’appuyer votre dénonciation des faits et, si besoin renforcer votre dossier en cas de procédure devant la justice : attestations de collègues, certificats médicaux, textos inappropriés, enregistrements audio ou vidéo de propos tenus, mails…
Enfin, si la vie au travail devient intenable, voire dangereuse, le droit offre deux solutions : la prise d’acte de la rupture du contrat de travail et l’exercice du droit de retrait. L’intérêt est que l’effet de ces deux démarches est immédiat : concrètement, la victime n’a plus à se rendre à son travail. Il appartiendra ensuite au conseil des Prud’hommes de définir le bien-fondé de cette initiative et la condamnation éventuelle de l’entreprise.
Julie Jean-Setton remarque : “Les salarié·e·s qui subissent un harcèlement au travail souffrent d’un mal-être intense ou bien viennent d’être licencié·e·s quand nous les recevons. Elles et ils ont un sentiment d’injustice très fort. Le simple fait d’entendre que le droit est de leur côté leur permet de retrouver de la dignité. Les victimes ne cherchent pas tant une réparation pécuniaire que la reconnaissance, par la société, du tort qui leur a été fait.” ●
  1. Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail, prévenir, agir, sanctionner, Guide édité par le ministère du Travail, 2019. À télécharger sur https://travail-emploi.gouv.fr/
  2. Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr

Article par Sandrine Boucher
Paru dans Femmes ici et ailleurs #36, mars-avril 2020