Nul·le n’est sensé·e ignorer la loi ! Qu’à cela ne tienne… Femmes ici et ailleurs met la loupe sur des questions juridiques de votre quotidien, en partenariat avec la Force juridique de la Fondation des Femmes.
“Compte tenu des évolutions en matière de taux d’emploi des femmes et de conjugalité, doit-on maintenir des pensions de réversion ?” La question a été ingénument posée par le Haut Commissariat à la réforme des retraites, dans une note aux partenaires sociaux en juin 2018. Le gouvernement de l’époque tâte alors le terrain pour son futur projet de loi, dont l’objectif est affiché : réduire les dépenses. Or, en 2016,ces pensions de réversion représentaient 36,3 milliards d’euros, soit 12 % des pensions de vieillesse… Syndicats et associations féministes réagissent alors vivement, rappelant leur “attachement” à ce dispositif.
Pourquoi ? Petit retour en arrière : au lendemain de la Libération, les ordonnances d’octobre 1945 créent la Sécurité sociale et, avec elle, fondent le premier système général de retraite en France, auquel tou·tes les salarié·es sont obligatoirement assujetti·es. Et, dans une logique de solidarité, sont instaurées les fameuses pensions de réversion, permettant aux veuves de toucher une portion de la retraite de leur conjoint décédé. Dans une société où les femmes mariées sont en grande majorité au foyer et ne peuvent percevoir de pension en leur nom propre, il s’agit ainsi de prolonger le “devoir d’entretien” de l’homme vis-à-vis de son épouse, même dans la mort. Et d’éviter de se retrouver avec quantité de veuves jetées à la rue. “En France, comme en Italie, ces pensions de réversion étaient réservées, à l’origine, aux femmes. Ce n’est que plus tard qu’elles bénéficient aussi aux hommes”, note Carmen Amato, avocate et spécialiste du droit du travail français et italien. Dans la même logique, ces pensions sont d’abord réservées aux veuves ne disposant d’aucun revenu. Ce n’est qu’à partir de 1975 qu’elles peuvent être cumulées avec une retraite personnelle, sous condition de ressources.
Près de 80 ans après leur création, la société française a certes changé. Selon la dernière étude de l’Insee sur le sujet, la France comptait 2,1 millions de femmes au foyer en 2013, soit 10 millions de moins qu’en 1957. Or, si les femmes travaillent, elles perçoivent ou percevront donc leur propre retraite. Sauf que la pension de réversion est encore une source de revenu importante pour nombre de retraité·es. Plus de quatre millions la touchent, dont près de neuf femmes sur dix. Les explications se cumulent : la longévité des femmes est généralement supérieure, nombre d’entre elles sont un peu plus jeunes que leur époux. Et si les hommes disposent souvent d’une confortable retraite en propre qui – supérieure aux plafonds de ressources – leur interdit la réversion, ce n’est pas le cas des femmes, dont les pensions sont bien plus faibles. Si tant est qu’elles en aient une : pour 1,1 million de bénéficiaires, dont 95 % de femmes, la réversion est leur seule retraite.
Les pensions de réversion sont intrinsèquement liées aux inégalités de revenus – et donc de retraite – entre les hommes et les femmes. Secteurs traditionnellement féminins sous-payés par rapport aux secteurs masculins (lire Femmes ici et ailleurs #38) ; plafond de verre ; éducation des enfants, carrières hachées… La liste des facteurs d’inégalités salariales entre femmes et hommes est longue. Et leur impact sur les retraites des femmes toujours important. Alors que les femmes actives touchent 17 % de salaire en moins que les hommes, pour un équivalent plein temps, les retraitées perçoivent une pension mensuelle moyenne de 1 145 euros brut, soit inférieure de 40 % à celle les hommes (1 924 euros). En ajoutant les pensions de réversion, l’écart se réduit en revanche à 28 %.
“La réversion est ainsi devenue, non plus un outil “d’entretien” des veuves, mais davantage un mécanisme de compensation des inégalités générées par les écarts de carrières et de revenus entre femmes et hommes”, explique Carmen Amato. Un “outil” d’égalité encore largement perfectible, note cependant l’avocate. Si, en France, leur montant et leurs critères varient selon les régimes, de manière générale “les pensions de réversion sont soumises à plusieurs conditions issues de l’histoire, qui n’ont jamais été véritablement remises en question”, souligne-t-elle.
Outre le plafond de ressources, le premier critère est celui du mariage. Le Pacs et le concubinage ne sont pas pris en compte. “Un critère dont nous devons questionner la pertinence, dans une société où l’on se marie de moins en moins, et où le mariage entre personnes du même sexe est si récent”, remarque l’avocate. Selon les régimes, cette condition est assortie d’une durée minimale du mariage (quatre ans ou au moins deux ans avant la retraite chez les fonctionnaires) ou de la condition d’avoir au moins un enfant issu de ce mariage. Dans le public, la pension est également suspendue si la ou le bénéficiaire se remet “en ménage” (qu’il y ait remariage ou simple concubinage). “Une disposition étrange si nous considérons que la pension de réversion vient compenser, par exemple, la carrière entrecoupée d’une femme liée à la maternité, et donc son impact sur ses revenus et sa retraite. Dans cette optique, cette compensation devrait être due, peu importe si la retraitée vit ou non à nouveau en couple”, souligne Carmen Amato.
Par ailleurs, si la pension de réversion des fonctionnaires peut être perçue à tout âge, celle de salarié·es du privé n’est accessible qu’à partir de 55 ans. “Dans l’optique d’une réforme, il s’agit, avec la condition du mariage, de la première chose à changer, juge Carmen Amato. Car si la pension de réversion sert à limiter la perte de niveau de vie générée par le décès du ou de la conjoint·e, quelle différence cela fait-il que l’on ait 35 ou 55 ans ? C’est une perte de revenu pour le foyer dans tous les cas.” Enfin, en France, la part de retraite du ou de la conjoint·e perçue grâce à la réversion est de 50 % dans le public et 54 % dans le privé. “Une part qui mériterait d’être augmentée, au moins à la hauteur des 60 % perçus en Italie”, estime l’avocate.
Autant de mesures qui ne semblent pas être envisagées dans la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron qui vise à “harmoniser” les pensions de réversion, fusionnant les différents régimes. Cette réforme devrait notamment supprimer le plafonnement des ressources (une mesure donc en faveur des veufs et veuves déjà les plus aisé·es), pérenniser la condition d’âge (55 ans) et généraliser la suspension de la réversion en cas de remariage. Loin des mesures d’égalité promises, donc. ●
REPÈRES
La pension de réversion représente entre 50 et 60 % de la pension de la personne décédée.
Sur les 308 milliards d’euros de pensions versés en 2016 par les régimes de base et complémentaires, les réversions ont représenté 36 milliards, soit 11,7 %.
Un quart des 17,2 millions de retraité·es percevaient une pension de réversion en 2016. C’est 6,4 % de plus qu’en 2006.
4,4 millions de personnes touchaient une pension de réversion fin 2019, dont 88 % de femmes.
Les bénéficiaires d’une pension de réversion qui ne touchent aucune autre retraite sont à 95 % des femmes (les veufs ne représentent ainsi que 5 % de ce cas de figure).
Le nombre de bénéficiaires d’une pension de réversion a augmenté de 5,1 % en 10 ans.
Sources : Dress, Le Monde.
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