Nathalie O., embauchée en septembre 2005 par une grande société de cosmétiques, donne toute satisfaction. Avant son départ en congé maternité, en juin 2008, elle est responsable export, dirige une équipe de seize personnes dans le monde et gère un chiffre d’affaires de 5,5 millions d’euros. La veille de la fin de son congé, elle reçoit un mail de son entreprise qui “actualise” ses missions. Il lui est ordonné de transmettre tous ses dossiers à d’autres salarié·e·s et de se contenter d’un rôle de prospection sans aucune responsabilité hiérarchique. Nathalie O. proteste. Son employeur lui reproche alors une attitude de défiance face à l’autorité, des propos dénigrants, de générer une mauvaise ambiance et de ne pas s’être remise au travail. “Des arguments classiques”, observe Léonore Bocquillon, avocate au barreau de Paris, spécialiste des discriminations au travail. La responsable export reçoit deux avertissements, une mise à pied, puis est licenciée pour faute grave fin janvier 2009, trois mois après son retour au travail. Sa santé est affectée. Les médecins attestent d’un “état de stress aigu” et de différents troubles.
Nathalie O. conteste son licenciement et dénonce une discrimination liée à sa grossesse. Le conseil des prud’hommes, puis la cour d’appel de Paris donnent raison à la salariée, appuyée par les conclusions du Défenseur des droits. Dans son arrêt du 7 février 2013, la Cour juge que “l’ensemble des reproches formulés par l’employeur sont la conséquence du refus légitime de la salariée d’accepter la modification de ses fonctions, qui lui a été imposée de manière discriminatoire”. Elle déclare le licenciement nul et l’entreprise est condamnée à verser plus de 90 000 euros à Nathalie O, dont 40 000 euros en réparation du préjudice moral. “C’est la première fois que la reconnaissance d’une discrimination pour cause de grossesse et de maternité a donné lieu à une indemnisation sérieuse. Auparavant, les montants étaient symboliques”, remarque Léonore Bocquillon.
L’avocate souligne la particularité du droit en matière de discrimination : comme pour le harcèlement au travail, la loi de 2008 prévoit que la charge de la preuve soit partagée entre les salarié·e·s et l’entreprise. Les personnes qui s’estiment victimes d’une discrimination doivent en apporter des indices tangibles. Par exemple : une carrière bloquée, pas d’augmentation ou, comme pour Nathalie O., “un poste vidé de toute sa substance” en lien avec une maternité. Et c’est à l’entreprise qu’il revient alors de démontrer l’absence de discrimination. “La concomitance des faits permet souvent de faire présumer ce type de discrimination : tout va bien jusqu’à l’annonce de la grossesse et, tout d’un coup, les conditions de travail changent et la salariée est mise de côté”, explique l’avocate.
Léonore Bocquillon insiste sur la nécessité de prendre conseil rapidement pour ne pas laisser la situation s’installer ou se dégrader, mais également pour préparer un dossier solide. Elle recommande aussi de conserver précieusement les textos, post-it, mails, messages vocaux ; d’envoyer des comptes rendus par écrit des échanges verbaux, etc.
“Par ailleurs, la saisine du Défenseur des droits est souvent utile : cette institution peut enquêter sur la situation globale de l’entreprise et exiger, par exemple, des informations comme le montant et l’évolution des rémunérations de l’ensemble du personnel”, affirme l’avocate. L’avis du Défenseur des droits, neutre et documenté, est très écouté. Il pourra servir à régler le conflit à l’amiable ou bien appuyer un dossier contentieux.
Les dispositions de la loi de 2008 ne protègent pas que les salariées, mais aussi celles qui exercent une activité professionnelle indépendante. En janvier 2016, Léonore Bocquillon a obtenu une décision de la cour d’appel de Paris concernant une avocate remerciée moins de deux semaines après son retour de congé maternité par le cabinet où elle était collaboratrice libérale depuis cinq ans. Cet arrêt consacre un revirement de jurisprudence : pour la première fois, les juges ont estimé que si une rupture du contrat de collaboration n’a pas à être motivée, encore faut-il qu’elle ne soit pas fondée sur une discrimination !