Appelons-les madame et monsieur Martin. Madame Martin touche 1 800 euros de salaire par mois. Son conjoint, 2 600 euros. Une situation banale puisque, dans les trois quarts des couples en France, monsieur a des revenus plus élevés que madame. Jusqu’à présent, le foyer s’acquittait d’un impôt calculé sur ses revenus globaux. À la charge de madame et monsieur Martin de rééquilibrer les comptes domestiques… ou pas. Parmi les couples dont les deux conjoint·e·s travaillent, 59 % de ceux qui étaient marié·e·s, mais seulement 30 % des pacsé·e·s, mettaient leurs revenus dans un “pot commun”.
Le passage au prélèvement à la source, à partir du 1er janvier prochain, peut renforcer ou, au contraire, atténuer les inégalités. Premier cas de figure : le couple ne demande pas que son taux d’imposition soit “individualisé”, c’est-à-dire calculé en fonction des revenus de chacun·e. C’est le taux d’imposition global du foyer dit “personnalisé” (sic) qui s’appliquera indifféremment aux deux. Madame Martin comme monsieur Martin se verront prélever donc l’un et l’autre 4,4 % d’impôts sur leur feuille de paye. Vis-à-vis de leurs revenus respectifs, compte tenu de la logique de l’impôt progressif (plus on gagne, plus le taux de prélèvement est élevé), madame sera donc surimposée et monsieur, sous-imposé. Dit autrement, madame sera ponctionnée à hauteur d’un revenu qu’elle ne touche pas et aura donc un salaire net d’impôt comparativement encore plus faible…
De quoi, selon Valence Borgia, avocate et porte-parole de la force juridique de la Fondation des Femmes, renforcer la “fausse croyance selon laquelle il ne servirait à rien qu’une femme travaille puisque ‘tout son salaire part en impôts’”. Le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport de 2011, avait aussi déjà alerté sur “une moindre incitation à obtenir des revenus d’activité, qui concerne majoritairement les femmes”. Rien n’y a fait : lors de la conception du prélèvement à la source, il a été prévu que le taux “par défaut”, c’est-à-dire sans manifestation contraire et explicite des intéressé·e·s, soit celui du foyer. “Alors que ce point a été soulevé depuis longtemps, il n’y a eu ni réflexion ni débat. Il est incompréhensible que ce ne soit pas le taux individualisé qui s’applique automatiquement, sauf à penser que, politiquement, il était plus délicat de faire bénéficier de la réforme les personnes qui touchent le moins, soit la plupart du temps les femmes, et de fiscaliser davantage les gens qui touchent le plus, généralement les hommes”.
Quel que soit le choix, l’impôt du foyer sera le même
À l’inverse, si madame et monsieur Martin optent pour le taux individualisé, madame sera exonérée d’impôts et monsieur se verra prélever 7,5 % sur sa feuille de paye. Monsieur Martin aura certes, l’impression d’être plus imposé qu’avant, alors que la répartition sera tout simplement… équitable. “Pour le foyer fiscal, que le taux soit personnalisé ou individualisé, rien ne change : le foyer payera au total une somme identique”, insiste Isabelle Oudenot, du service de presse de la Direction générale des Finances publiques. Mi-octobre, moins de 10 % des foyers fiscaux avaient choisi le taux individualisé. “Mais les effets de la réforme fiscale restent encore abstraits. La situation va certainement évoluer avec les premiers bulletins de salaire où le prélèvement à la source sera appliqué. Même après le début de l’entrée en vigueur de la réforme, il sera toujours temps de changer d’option sur les taux d’imposition », souligne-t-elle.
La date-butoir du 15 septembre correspondait à l’envoi des taux d’imposition aux entreprises, mais il restera possible d’opter pour un régime ou un autre quand on le souhaite. Ne tardez cependant pas : un délai d’un mois et demi ou deux mois est nécessaire pour répercuter votre choix. Si par exemple, vous souhaitez être imposé·e au taux individualisé dès votre paye de janvier, il faudra vous déclarer au plus tard d’ici début décembre. Il suffit de vous connecter sur votre espace particulier “gérer mon prélèvement à la source” sur impots.gouv.fr, vous rendre au centre des Finances publiques ou appeler le numéro spécial sur le prélèvement à la source, au 0811 368 368 (prix d’un appel + 0,06 €/minute).