07/09/2020

Violences dans l'industrie pornographique : des avancées pour les victimes grâce à vous !

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Il y a un peu plus d’un an, la Fondation des Femmes lançait une collecte de fonds pour soutenir 40 femmes ayant eu le courage de prendre la parole face à l’industrie pornographique pour témoigner des violences inouïes qu’elles y ont subies. Découvrez les avancées des affaires juridiques menées. Entretien avec Maître Pauline Soubie-Ninet.

 


 

Attention : l’article qui suit présente des faits de violences sexuelles

Plusieurs affaires judiciaires sont actuellement en cours pour dénoncer un même système de violences organisées au sein de l’industrie pornographique. La première , à l’origine de la mobilisation de la Fondation des Femmes – grâce à trois associations de terrain – est décrite dans cet article et, depuis, ce sont désormais plus de 60 femmes qui ont eu le courage de prendre la parole pour dénoncer ce système et ce dont elles ont été victimes.

 

  • Maître Soubie-Ninet, en quoi consiste votre travail et le travail des avocates et avocats qui agissent auprès de ces femmes dans le cadre de ces procès ?

Concrètement, ce procès mobilise déjà depuis près de trois années, toute une équipe d’avocates et avocats pour accompagner en justice les femmes victimes en vue des procès qui devraient normalement avoir lieu début 2024. Cet accompagnement comprend la préparation et l’assistance lors des auditions par la police ou la justice, les éventuelles confrontations ainsi que les expertises médicales ordonnées, pour évaluer les conséquences de ces violences extrêmes sur leur vie quotidienne. 

Il s’agit également d’informer régulièrement nos clientes sur l’avancée de la procédure, les représenter lors des audiences de demande de remise en liberté des mis en examen, formuler des demandes d’actions en leur faveur et de faire des observations pour éclairer la justice sur la réalité des violences subies. Notre action vise plus généralement à soutenir les victimes, notamment en les orientant vers les associations et psychologues spécialement formées sur le psychotraumatisme pour une prise en charge sur le plan sanitaire et social.

En parallèle, n’oublions pas que les plaignantes se sont retrouvées filmées dans des vidéos pornographiques qui ont été ensuite diffusées, et sont encore sur de très nombreuses plateformes. Aussi, nous menons des démarches pour faire retirer les vidéos en ligne,  préjudiciables pour la santé mentale des plaignantes et pour leur reconstruction : ce travail est tentaculaire, car il s’agit de réaliser un dossier avec l’ensemble des vidéos que la femme victime veut voir retirer puis de saisir toutes les parties prenantes (tribunaux, CNIL, Pharos, etc.)

  • Le parquet de Paris a rendu son réquisitoire, lundi 17 juillet en lien avec le premier procès, dit “French Bukakke” (du nom du site qui a produit et diffusé en premier les vidéos de ces femmes) : qu’a-t-il conclu ?

Le parquet s’est prononcé pour que 17 hommes soient jugés devant la cour départementale criminelle de Paris, notamment pour viols, viols en réunion, traite d’être humains en bande organisée ou encore proxénétisme aggravé pour des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle. Un 18e homme est poursuivi pour blanchiment de travail dissimulé. 

En juillet, les deux juges d’instruction, chargées des investigations, se sont prononcées en faveur de la tenue d’un procès, estimant qu’il existait des charges suffisantes de renvoyer ces 17 hommes devant une Cour criminelle départementale, sur la base des qualifications criminelles retenues par le parquet. L’homme poursuivi pour blanchiment de travail dissimulé sera jugé à part, par un tribunal correctionnel. Il s’agit d’une première grande victoire et d’un soulagement pour les victimes. 

Toutefois, nous restons mobilisé.e.s car nous souhaitions que la qualification d’acte de torture et barbarie soit également retenue, ce qui n’a pas été le cas et qui motive, nombre de parties civiles, à faire appel de l’ordonannce rendue par la juge. Il faut savoir qu’en retenant la circonstance aggavante d’actes de torture et barbarie, les peines encourues sont la réclusion criminelle à perpétuité. 

Nous estimons que ce procès historique devrait se tenir devant une Cour d’Assises, composée de juges et jurés populaires, et non devant une Cour départementale criminelle jugeant de crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminelle et composée uniquement de magistrats professionnels. La société doit prendre conscience de l’horreur de ce système organisé pour briser les femmes et en juger les auteurs. 

  • Dans ce cadre, quelles sont les prochaines étapes d’un point de vue juridique et judiciaire ?

La prochaine étape est donc une bataille juridique sur les qualifications qui ont été retenues par les magistrats instructeurs, devant la chambre de l’instruction. 

Notre objectif est qu’aucune violence ne soit impunie, qu’aucun auteur ne soit épargné, qu’aucune victime ne soit oubliée, que la gravité des actes commis soit reconnue, pour que les victimes obtiennent une juste et entière réparation. 

Il faudra ensuite s’atteler à la préparation du procès à venir qui devrait s’étendre sur plusieurs semaines, au vu du nombre de mis en cause et de victimes. Cela suppose notamment de relire et trier les quelques milliers de pages de procédure pour s’assurer que tous les éléments importants soient débattus lors du procès. En effet, dans un procès pénal, le principe de l’oralité des débats prévaut et, chaque fait, chaque accusation, doit être débattue. Il faut aussi établir la liste des témoins et experts ayant travaillé sur la question de la pornographie que nous souhaitons faire venir au procès. 

En parallèle, nous continuons nos actions de lutte contre la diffusion des vidéos en ligne, contre laquelle le système juridique actuel apparaît insuffisant. Par exemple, il s’agit d’écrire aux différents sites pornographiques, tels que Pornhub, Xvidéos, pour demander la suppression des vidéos de viols qui y sont diffusés. Ce travail est très exhaustif car les vidéos sont parfois reproduites sur des centaines de sites internet. Il peut arriver que certains sites refusent la suppression, ce qui nécessite d’aller au contentieux et cela, pour chaque vidéo…ce qui constitue une perte de temps et de ressources importante. La plupart des sites étant basés à l’étranger, dans des pays tels que la République Tchèque ou encore la Russie, il n’existe, de surcroît, aucune coopération judiciaire établie pour l’exécution des décisions de justice française. Enfin, il faut aussi rappeler que ces démarches ne valent que sur le sol français. Par le biais d’un VPN, il sera possible de regarder les vidéos litigieuses en indiquant se trouver en Espagne par exemple. Il est donc impossible à l’heure actuelle de supprimer de manière effective les vidéos de viols et de torture de nos clientes. 

  • Et au-delà du point de vue juridique, ces femmes sont-elles également accompagnées par les associations ?

Tout au long de la procédure, nous devons rester au plus près des femmes victimes pour qu’elles ne soient pas seules : s’assurer qu’elles bénéficient d’un soutien psychologique, faciliter leurs besoins de déplacements pour les besoins de la procédure (comme leur acheter un billet de train), les soutenir dans leur démarche de reconstruction, etc.

En ce qui concerne le soutien psychologique, les dons recueillis ont permis de financer des séances avec deux psycho-traumatologues qui ont des années d’expérience dans le suivi des femmes survivantes de la traite sexuelle. Ce suivi est indispensable au processus de reconstruction psychique et à l’accompagnement psychologique durant les échéances judiciaires qui peuvent être éprouvantes pour les victimes (nombreux déplacements, parler du trauma subi, etc)

De plus, les frais d’hébergement et les frais de transports des victimes pour les auditions à Paris sont financés grâce aux dons. Les femmes soutenues dans le cadre de ces procès sont bien souvent en situation de grande précarité et, sans cette aide matérielle, elles ne pourraient pas se rendre aux auditions,et ne pourraient donc pas espérer obtenir justice.

Un autre exemple de soutien est l’organisation d’un week-end d’échange et de parole avec les femmes plaignantes en alternant des temps pour libérer la parole et pour se reconnecter, afin de mettre des mots sur ce qui a été subi et de continuer à avancer.

  • De votre expérience, est-ce qu’accompagner juridiquement des femmes victimes de violences sexuelles demande une approche spécifique du métier ?

C’est évident. Une formation spécifique est indispensable à toute avocate ou tout avocat qui souhaite accompagner les femmes victimes de violences sexuelles. 

Il faut tout d’abord créer un lien de confiance : ce lien de confiance est fondamental pour ces femmes, qui trop souvent, n’ont pas été entendues ni crues. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une écoute bienveillante et de rappeler le caractère confidentiel des échanges afin d’instaurer un lien de confiance. 

Il est aussi très important en tant que professionnel du droit et auxiliaire de justice, de qualifier juridiquement les agissements dont elles ont été victimes, rappeler ce qui est interdit par la loi et comment la loi les protège. 

Évidemment, comme le font toutes les personnes professionnelles accompagnant des femmes victimes de violences sexuelles, il faut contrer le discours de l’agresseur qui vise à faire culpabiliser la victime, en rappelant que le seul responsable est l’agresseur. 

Enfin, il est indispensable de travailler en réseau et en partenariat avec des structures et associations spécialisées, qui peuvent prendre en charge ces femmes sur les autres volets sanitaire et social. 

Si ces femmes se sentent soutenues, crues, et entendues, elles iront jusqu’au bout du processus judiciaire. Et leur témoignage est précieux, même souvent indispensable, à l’émergence de la vérité judiciaire. 

C’est ce qui c’est passé dans le cadre de l’affaire dite “French Bukkake”. Un grand merci d’ailleurs à notre consoeur, Maître Lorraine Questiaux, qui assure la coordination des actions juridiques en lien avec les associations, et permet un accompagnement global de ces femmes. 

C’est inédit que plus d’une cinquantaine de femmes, particulièrement vulnérables, polytraumatisées, jeunes, parfois étrangères, qui ont été violées et abusées dans le cadre d’un réseau de traite des êtres humains en bande organisé, parlent et osent décrire les atrocités qu’elles ont vécu dans l’industrie de la pornographie.