Portrait Anne Cécile Mailfert
04/10/2022

[Tribune] #MeToo reste à faire

partager icon icon icon icon
A l'occasion des 5 ans du mouvement #MeToo, Le Journal du Dimanche du 2 octobre 2022 a publié une tribune d'Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes

Le 5 octobre marquera les cinq ans de l’affaire Weinstein. Depuis, la brèche dans le mur du silence ouverte par le mouvement #MeToo ne s’est jamais refermée. #MeTooInceste, #MeTooGay, #MeTooPolitique, #MeTooThéâtre… chaque nouvelle mobilisation charrie d’innombrables témoignages. A l’heure où les « excès » supposés de #MeToo alimentent la chronique, un bilan s’impose.

D’abord, l’espoir : dans le sillage de #MeToo, une révolution s’opère – celle des victimes qui ont, à l’unisson, rompu le silence dans lequel les violences les enferment. Les organisations féministes, qui alertent depuis des décennies sur l’ampleur et la gravité des violences sexistes et sexuelles, ont enfin trouvé un réel écho. La société prend graduellement conscience de ce phénomène massif qu’elle traitait hier avec un indigent mépris. Dans l’entreprise, les médias, les familles, l’ignorance n’est plus de mise. Mais derrière l’espoir que #MeToo suscite, quelle réponse politique ?

Si l’on entend régulièrement fustiger le « tribunal populaire » que seraient les réseaux sociaux, ou le risque pour la présomption d’innocence, dans la réalité, ce sont les victimes qui trouvent porte close quand elles demandent justice. Depuis 2017, les faits constatés de violences sexuelles ont augmenté de 82 %. Mais passée la plainte, que se passe-t-il ? Faute de moyens, la police bâcle les enquêtes, la justice est débordée : moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites. Les procédures traînent – il faut en moyenne 77 mois pour un premier jugement pour viol sur majeur(e) -, quand elles ne sont pas classées, ou abandonnées du fait de la prescription. Avec 732 condamnations pour viol en 2020, un record historiquement bas est atteint.

Les chiffres de la justice disent d’eux même l’insupportable impunité des auteurs de violences sexuelles. Alors que 94 000 femmes majeures sont victimes de viols ou tentatives de viols chaque année en France, #MeToo est un mouvement de victimes sans coupables. #MeToo reste à faire pour résoudre le paradoxe d’une société convaincue d’avoir pris conscience de l’ampleur des violences sexuelles, mais qui n’en tire aucune conséquence pour ceux qui en sont les responsables.

Depuis cinq ans, la Fondation des femmes alerte : #MeToo a provoqué une demande très forte d’écoute et d’accompagnement, qui pèse sur les associations de terrain. Celles-ci restent à ce jour sous-dotées et incapables de répondre à l’afflux de victimes dont elles sont les premières interlocutrices. Ainsi, les permanences d’écoute et d’accueil Viols femmes info service de l’Association contre les violences faites aux femmes au travail ou des Centres d’information des droits des femmes et des familles reçoivent chaque jour plus de demandes sans que leurs subventions n’aient été augmentées suffisamment, laissant toujours plus de femmes sans solution. A cela s’ajoute le mépris pour ces professionnelles qui n’ont pas vu leurs salaires revalorisés lors du Ségur alors qu’elles étaient en première ligne quand les violences intrafamiliales se multipliaient durant les confinements.

Cette double impéritie – une justice qui reste bras croisés et un Etat qui rechigne à soutenir les associations de lutte contre les violences – laisse les victimes seules. Plus grand est l’espoir, plus forte est la déception : #MeToo reste au milieu du gué. Tout reste à faire pour qu’elles ne soient plus jamais seules.