25/11/2021

Vos droits : Viol, comment changer la loi ?

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Si elles ont évolué au fil du temps, la définition du viol et sa réponse pénale sont aujourd’hui réinterrogées. Il était temps. Le traitement des violences sexuelles, dont celles commises sur les mineur·e·s, révèle des insuffisances dans notre système judiciaire.
Photos Fondation des femmes
Floriane Stricot, avocate du barreau de Paris, membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes. DR

Quatre affaires d’agressions sexuelles sur dix concernent des mineur·e·s ; 40 % des viols ou tentatives de viols déclarés par les femmes ont eu lieu avant l’âge de quinze ans (60 % pour les hommes). Chaque année, 165 000 mineur·e·s subiraient des violences sexuelles, qui concerneraient environ un·e enfant sur cinq… Face à ces chiffres glaçants, la réponse judiciaire est “perfectible”, pour reprendre la litote d’une sénatrice dans un rapport de 20181. L’année précédente, deux hommes s’étaient – temporairement – libérés d’accusations de viol sur des fillettes de onze ans, en affirmant qu’elles étaient consentantes2.

Aujourd’hui, c’est l’affaire de “Julie” (pseudonyme pour protéger son anonymat) qui fait scandale. Elle accuse vingt pompiers de Paris de l’avoir violée entre ses treize et ses quinze ans, alors qu’elle était dans un état de détresse psychologique. S’ils reconnaissent les relations sexuelles, les trois poursuivis (les autres n’ont pas été inquiétés), ne se voient reprocher qu’une simple “atteinte sexuelle”. Le juge d’instruction n’a pas été en mesure d’identifier un des quatre critères qualifiant un viol : violence, contrainte, menace ou surprise.

Vague d’indignation

L’affaire a donc été “correctionnalisée” : les faits ne sont plus, à ce stade de la procédure, considérés comme un crime (le viol), passible des assises et en l’espèce de vingt ans de réclusion, mais comme un délit (l’atteinte sexuelle), qui dépend des tribunaux correctionnels et pour lequel la peine encourue n’est ici que de sept ans.

Cette décision a soulevé une vague d’indignation, avec des rassemblements partout en France le 7 février pour soutenir Julie, qui a demandé à la Cour de cassation de requalifier son agression en viol. La décision sera rendue le 17 mars. Sans se prononcer sur le fond de ce dossier, Floriane Stricot, avocate au barreau de Paris et membre de la Force juridique de la Fondation des Femmes, analyse : “Il est étonnant que la contrainte n’ait pas été retenue, tant au regard de l’âge de la victime que de sa prise en charge médicale par des pompiers, donc dans un cadre tacite de soins. C’est d’autant plus étonnant qu’il existe des jurisprudences où la contrainte s’est appuyée sur la vulnérabilité de la victime ou bien parce qu’il s’agissait d’une relation imposée par un médecin à sa patiente.”

Ces affaires choquantes reflètent la “perfectibilité” plus générale de la réponse pénale aux abus sexuels sur les enfants. Quatre pour cent des viols sur mineur·e·s font l’objet de plaintes ; 70 % sont classées sans suite, 30 % sont instruites mais la moitié d’entre elles sont correctionnalisées, comme celle de Julie.

La correctionnalisation minimise le viol

Ce procédé, dénoncé depuis des années par les associations de défense des droits des femmes, est défendu par certain·e·s magistrat·e·s comme une solution offrant aux victimes une procédure moins longue, moins pénible et une audience plus rapide. Une condamnation aurait plus de chance d’être prononcée par les juges professionnel·le·s des tribunaux correctionnels que par les citoyen·ne·s des jurys populaires des cours d’assises… (la condamnation de Georges Tron par celle de Paris vient de démontrer le contraire). Cette technique permet aussi, et surtout, d’éviter de contribuer à la surcharge des cabinets d’instruction et des juridictions criminelles, autrement dit, à pallier le manque de moyens de la justice. Mais, “bien sûr, la correctionnalisation des viols est une manière de minimiser les faits, puisque les peines encourues sont plus faibles”, souligne Floriane Stricot, pour qui “il est important dans la reconstruction de la victime d’être entendue devant une cour d’assises. Je pense que le viol y a toute sa place en tant que crime. Plus les assises jugeront des dossiers de viol, moins il y aura de risque d’acquittement dans ces affaires”.

Deux propositions de loi

L’autre débat en cours est celui du seuil de non-consentement. En droit français, l’âge de la victime ne permet pas d’établir la contrainte et donc de qualifier un viol. En 2018, le projet de loi interdisant les relations sexuelles entre adultes et mineur·e·s de moins de quinze ans s’était heurté à l’avis négatif du Conseil d’État. La plus haute juridiction administrative avait pris l’exemple d’une relation consentie entre une fille de quatorze ans et un garçon de dix-sept, qui deviendrait un viol lorsque ce dernier atteindrait la majorité. La loi fabriquerait ainsi automatiquement des crimes, sans aucune intention de nuire de la part de l’auteur, ce qui serait inconstitutionnel. Le projet de loi avait finalement été enterré.

L’affaire de Julie ainsi que les innombrables révélations d’incestes et d’agressions sexuelles sur des mineur·e·s (lire p. 18), ont relancé la volonté des parlementaires et du gouvernement de faire évoluer le droit. Le 21 janvier, le Sénat a voté à l’unanimité la proposition de loi d’Annick Billon interdisant à un·e adulte “tout rapport sexuel avec un·e mineur·e de moins de treize ans”. Le 18 février, l’Assemblée nationale faisait de même avec la proposition d’Isabelle Santiago portant cette limite à quinze ans, seuil réclamé aussi par les associations féministes et de soutien aux victimes.

Un nouveau débat devant les député·e·s est prévu le 15 mars, l’exécutif souhaitant une adoption de la loi d’ici fin avril. Une clause dite “Roméo et Juliette” est prévue pour éviter de criminaliser les amours adolescentes, excluant des poursuites “le majeur qui, avant l’acquisition de la majorité, entretenait déjà une relation continue et pérenne avec un·e mineur·e de moins de quinze ans” (l’idée initiale d’instaurer un écart d’âge maximal de cinq ans a finalement été abandonnée).

Une conception désuète

Pour Floriane Stricot, il est clair aussi qu’“il faut faire évoluer la loi”. À ses yeux, une solution serait d’instaurer des paliers, avec un seuil à treize ans, un autre à quinze. Par exemple, l’Allemagne et l’Italie distinguent les abus sexuels sur les moins de seize ans et sur les moins de dix-huit.

Reste le problème de la définition même du viol, qu’il s’agisse de mineur·e·s ou d’adultes. Grâce aux mobilisations des militant·e·s depuis plus de quarante ans, le viol est devenu un crime en 1980 ; pour les victimes mineures, la durée de prescription est passée de dix à trente ans après leur majorité ; la liste des actes considérés comme pouvant relever d’un viol s’est étoffée. Cependant, “le viol reste défini selon le point de vue de l’auteur, avec une conception de la sexualité très phallocentrée, remarque l’avocate. Je pense qu’il faudrait recentrer la définition du viol autour de la victime et donc de la question du consentement”, estime-t-elle (lire Femmes ici et ailleurs #20).

Enfin, la définition du viol est toujours liée à la pénétration. Dans un arrêt particulièrement malvenu, le 14 octobre dernier, la Cour de cassation estimait ainsi que, faute d’intromission d’une profondeur “significative”, les cunnilingus imposés par un homme à sa belle-fille de treize ans ne pouvaient être qualifiés de viols. Dommage que la loi Schiappa de 2018, qui avait réformé la définition du viol afin d’inclure spécifiquement le cas d’hommes contraints de subir une fellation, n’ait pas imaginé une version plus paritaire… “Je trouve incohérent de différencier ainsi les victimes de viol et, aujourd’hui, totalement désuet de ne baser le viol que sur l’acte de pénétration”, remarque Floriane Stricot.

Par Sandrine Boucher et Emma Gomez
Paru dans Femmes ici et ailleurs #42